Librairie Liragif


Littérature française

Jérôme Ferrari, Le principe, Actes Sud
Dans ce dernier roman de Ferrari , un jeune philosophe d'aujourd'hui s'adresse au physicien Heisenberg, un des fondateurs de la mécanique quantique, auteur du principe d'incertitude et qui reçut le prix Nobel pour ses travaux en 1932. Il s'agit nullement d'un ouvrage scientifique mais plutôt d'un recueil philosophique dans lequel quantique rime avec immatérialité du monde mais également avec poésie et beauté. Je trouve que c'est également une belle réflexion sur l'engagement politique des physiciens allemands pendant la guerre. Certains quitteront leur pays, d'autres pas. Certains flirteront avec le nazisme, d'autres se polariseront sur leurs sujets de recherche comme Heisenberg en oubliant peut être de résister contre le fascisme. Un livre extrêmement intéressant, d'une part pour les scientifiques qui découvriront la physique quantique sous un autre angle et, d'autre part pour les non scientifiques, qui seront initiés à ces superbes concepts à l'origine de cette nouvelle physique si perturbante pour l'esprit. De toute façon, avec Ferrari, la littérature est toujours du grand art...

Mathias Enard, Rue des Voleurs, Actes Sud
C'est l'histoire contemporaine d'un jeune marocain de Tanger qui a commis le crime d'être surpris par sa famille dans le lit de sa cousine, dont il est amoureux depuis l'enfance. Banni par les siens, il se retrouve dans la rue sans ressources. Commence alors une existence faite de "pied de nez" au destin, souvent grâce à la littérature. Il vendra des livres religieux, lui qui n'aime que les romans noirs français. C'est grâce à cette passion qu'il trouvera un nouveau travail. Il fera la connaissance de deux jeunes espagnoles qui lui donneront envie de s'exiler. Rencontre après rencontre, il trace son chemin. Grâce à l'énergie de sa jeunesse et la naïveté qui l'accompagne, il traverse sans états d'âmes le printemps arabe et la crise en Europe.
Pour la première fois Mathias Enard, écrit un livre très consensuel. Le sujet était risqué car il traite de l'actualité très proche (le printemps arabe, les indignés, l'élection de F. Hollande) et il aurait été tentant pour l'auteur de prendre partie et de devenir dogmatique. Mais le pari est réussi, Enard a réussi à éviter les clichés. Comme toujours, son écriture est intense et nous tient en haleine. Un beau moment d'histoire d'aujourd'hui.


Antoine Choplin et Hubert Mingarelli, L'incendie
La fosse aux lions
Pavle et Jovan étaient deux jeunes soldats en yougoslavie dans les années 1990. La vie les a séparés depuis. L'un vit à Belgrade, l'autre en Argentine. Après des années de silence, ils renouent par lettre. Après quelques échanges anodins, leur conversation épistolaire dérive doucement vers la guerre. Ils ont vécu un évènement tragique ensemble. Petit à petit ce roman à deux voix nous dévoile ce que Pavle et Jovan ne peuvent pas oublier. Ce livre est une vraie réussite. Chaque correspondance est un morceau d'un puzzle. Avec une grande pudeur les deux hommes évoquent l'horreur de la guerre et les dérives inhumaines qu'elle entraîne. A lire absolument. Vous pouvez écouter Pierre, le libraire, en parler sur France Culture Pierre sur France Culture.
J.M.G Le Clézio, Tempête
Gallimard
«En anglais, on appelle "novella" une longue nouvelle qui unit les lieux, l'action et le ton. Le modèle parfait serait Joseph Conrad. De ces deux novellas, l'une se déroule sur l'île d'Udo, dans la mer du Japon, que les Coréens nomment la mer de l'Est, la seconde à Paris, et dans quelques autres endroits. Elles sont contemporaines.»
J. M. G. Le Clézio.

Maylis de Kerangal, Réparer les vivants
Verticales
De battre mon Cœur...
Réparer les vivants ne parle pas d'une transplantation cardiaque. Le sujet DU livre de la rentrée littéraire de janvier, c'est la langue et son pouvoir de -effectivement - nous réparer. On est emporté par la houle de ces phrases, par la jubilation du vocabulaire autant que par l’incarnation des personnages de cette histoire brûlante de mort et de vie.
Ce roman est une chanson de geste qui célèbre l’œuvre humaine et l’héroïsme modeste, un texte magnifique dont la prose chamanique accélère le pouls et le cœur pour nous faire sentir plus vivants encore.

Emmanuel Carrère, Le royaume, P.O.L
Depuis sa sortie, "Le royaume" a fait la une de tous les magazines et émissions littéraires. Il a aussi obtenu le prix du Monde. Il est donc connu de tous ceux qui s'intéressent un peu aux livres! Nous nous contenterons donc de vous donner notre avis!
A Liragif, nous aimons tous Carrère. Alors qu'il semble très agaçant pour certains , provocateur, autosuffisant, ce n'est pas ainsi que nous le voyons à la librairie. Nous aimons qu'il se donne tout entier dans ses livres, sans retenue même si parfois, cela engendre certaines maladresses...Nous aimons dans ses romans presque tous biographiques ou autobiographiques, sa sincérité et son introspection. Carrère ne fait jamais les choses à moitié et c'est encore le cas dans ce dernier livre. Il a été profondément croyant, il ne l'est plus. Pendant 600 pages extrêmement documentées, il va essayer de comprendre comment, 2000 ans après, tant de gens continuent à suivre la voie de Jésus. Comment une petite histoire s'est transformée en une religion.
C'est parfois un peu long et puis...il y a quelques pages de pure pornographie sorties de nulle part au milieu du livre, des ovnis au milieu des écrits de Saint Paul et Saint Luc, une apparté incompréhensible! On revient ensuite comme si de rien n'était, à un ouvrage très sérieux.
Donc, oui, nous vous conseillons le Royaume, croyants et non croyants...

Emmanuel Carrère, Limonov
P.O.L
Il l'avait déjà montré dans ces derniers romans, Carrère a un style vraiment unique. Il a trouvé sa voie en quittant doucement la fiction pour des histoires qui le touchent de plus ou moins près mais qu'il narre avec une sincérité bouleversante. Carrère écrit avec ses tripes et c'est pour cette raison qu'il est un écrivain captivant.
Qui connaissait Limonov avant la sortie de ce livre? Pas grand monde, quelques intellectuels, quelques anarchistes, une poignée d'initiés. Au fond, nous n'avons pas de raison profonde de nous intéresser à Limonov, un poète russe un peu déjanté, un peu salaud, très provocateur, aux choix politiques frisant quelquefois l'indécence. Pourtant Carrère réussit le pari de nous faire plonger la tête la première dans l'univers de ce paria. Il ajoute avec brio des anecdoctes personnelles, par petites touches, qui rendent le récit très vivant.

Agnès Desarthe, Ce qui est arrivé aux Kempinski
Editions de l'Olivier
« Mon âme, dit-elle. Mon âme, que vaut-elle ? Mon âme est une liste de courses. Mon âme est une déclaration d’impôts, un bulletin de notes au bas duquel ne figurent pas d’encouragements. Mon âme est le mode d’emploi du lave-vaisselle remplacé depuis huit ans, un bordereau de la poste datant de trois mois (le paquet est reparti, mais où, et que contenait-il ? Une rivière de diamants, sans doute). Mon âme est pleine de “Bonjour, madame”, “Au revoir, madame”, elle est salie par les corvées, corrompue par la fatigue de jours sans héroïsme, sans passion, sans péril. »
Qui parle ainsi ? Une femme à qui le diable a proposé un pacte. Mais le diable ferait bien de se méfier : dans le monde d’Agnès Desarthe, qui perd gagne, l’oubli est source de mémoire, les enfants engendrent leurs parents et le châtiment précède la faute.
En 14 histoires étourdissantes, Agnès Desarthe rend visible ce qui se cache derrière ce qui nous semble le plus familier. Comme une trame secrète où viendrait s’inscrire le paradoxe qui gouverne notre vie. Un sens constamment perdu, et retrouvé.


Cécile Coulon, Le roi n'a pas sommeil
Viviane Hamy
Quand le livre commence, Thomas, part avec les gendarmes, menotté serré. On sait qu'un drame vient de se produire mais il faudra attendre pour savoir lequel. Il faudra d'abord comprendre comment un jeune gars sans histoire, travaillant à l'école, serviable, et si proche de sa mère, en est arrivé là.
C'est un livre magnifique sur la toxicité des non dits, des blessures qui larvent en secret dans les familles. L'écriture est sobre, précise, d'une grande maturité pour une si jeune auteur (moins de 25 ans). Certains la connaissent peut être déja, son premier roman, Méfiez vous des enfants sages, valait déjà le détour. Un très bon cru donc !
Patrick Deville, Equatoria
Seuil
C’est le journal d’une traversée du continent africain à la hauteur de l’Équateur, depuis les îles autrefois portugaises de SãoTomé et Principe, dans l’Atlantique, jusqu’à Zanzibar, dans l’océan Indien. Le prétexte, le point de départ, c’est le transfert controversé des dépouilles de Savorgnan de Brazza et de sa famille d’Alger, où elles reposaient depuis le début du XXe siècle, jusqu’à Brazzaville, où on leur édifie un mausolée.
Chemin faisant, Patrick Deville croise nombre de figures pittoresques (l’Afrique n’en manque pas), revisite l’histoire de l’exploration, de la colonisation, de la guerre froide, brosse les portraits de quelques personnages hors du commun (Albert Schweitzer, Stanley et Livingstone, Brazza, l’aventurier autrichien Emin Pacha, Tippu Tip, le trafiquant d’esclaves de Zanzibar, Jonas Savimbi, le Che en Afrique…), évoque Joseph Conrad (Au Coeur des ténèbres, bien sûr) et Jules Verne (Cinq semaines en ballon).
C’est un voyageur érudit, curieux, pas pressé, attentif à l’incongru comme à la beauté des choses.

Marcus Malte, Fannie et Freddie
Zulma
Ce livre est une excellente surprise. Deux petits romans en un ou deux grandes nouvelles dans un style policier acéré. La première histoire Fannie et Freddie commence au sixième étage d’un parking de New York. Une jeune femme avec un œil de verre, assoiffée de vengeance, est prête à tout pour obtenir réparation. Elle s’appelle Fannie mais ses collègues l’appellent Minerve car son buste tout entier se tourne quand on l’interpelle. Ceux qui ne la connaissent pas ignorent que c’est une parade pour cacher son œil borgne. Elle est une victime collatérale de l’immense escroquerie des subprimes. Le désespoir va la pousser au pire.
La seconde histoire, Ceux qui construisent les bateaux ne les prennent passe déroule à la Seyne sur mer, ville natale de l’auteur. Elle est aussi prenante que la première.

Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome, Actes Sud
Dans un petit village corse, le bar se meurt suite à des mauvaises gestions successives. A la surprise générale, il va être repris par deux jeunes du pays qui laissent tomber leurs études de philosophie pour essayer de redonner vie à ce lieu de haute importance pour les autochtones. Avec l'insolence de leur jeunesse, ils vont essayer de faire de ce bar un lieu branché à la parisienne qui devrait attirer les foules. Cette folie des grandeurs va transformer le paradis en enfer. Victimes de leur succès, ils vont perdre leur âme. Le village va devenir le lieu de toutes les perversions, des douleurs anciennes vont être ravivées. Tel Icare, à vouloir voler trop haut, ils se brûleront les ailes et avec beaucoup de subtilité l'auteur illustre leur chute avec le sermon par lequel saint Augustin tenta, à Hippone, de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres.
Ferrari, dans ses précédents romans, nous avait donné un bel aperçu de son talent pour décrire la complexité des rapports humains, la fragilité de nos existences mais avec ce nouveau livre, il nous éblouit totalement. Lécriture est intense, subtile et mûrement réfléchie. De la littérature de haut vol qui mériterait de décrocher un prix littéraire prestigieux.